- 4 - UNION INTERNATIONALE DES TÉLÉCOMMUNICATIONS Genève, 17 octobre 1996 Développement des systèmes d’information et de communication pour l’Afrique: Défis et perspectives Rencontre sur l’Afrique et les Nouvelles Technologies de l’Information Hotel Intercontinental, Genève, les 17 et 18 octobre 1996 Excellences, Mesdames et Messieurs, C'est pour moi un privilège et un honneur de m'adresser à une aussi remarquable assemblée de décideurs, d'experts et d'industriels. On peut véritablement affirmer que vous détenez en vos mains l'avenir des communications africaines. J'aimerais saisir cette occasion pour remercier M. Alpha Oumar Konaré et M. Guy-Olivier Segond d'avoir pris l'initiative d'organiser cette réunion. J'espère que les débats de ces prochains jours seront fructueux et constructifs. Je pense réellement que nous serons à même, au cours de cette réunion, d'influer de manière positive sur le développement et la mise en oeuvre des nouvelles technologies des télécommunications en Afrique. J'en appelle à vous pour concrétiser la vision d'un monde uni et non divisé par les technologies, telle qu'elle a été présentée si clairement par le Président Mandela à la cérémonie d'ouverture de TELECOM 95, ici même à Genève. Pour reprendre les dires de M. Mandela "L'élimination de la distinction entre les pays nantis de l'information et ceux qui en sont démunis est ... indispensable à l'élimination des inégalités économiques et autres entre le Nord et le Sud et à l'amélioration de la qualité de la vie pour l'ensemble de l'humanité." L'objet de mon exposé est de montrer les progrès que l'Afrique a réalisés et combien il lui en reste encore à accomplir pour participer à la société mondiale de l'information. Ce faisant, je m'appuierai sur les travaux de recherche effectués par l'UIT et qui font l'objet d'une publication "Indicateurs des télécommunications africaines, 1996" parue au premier semestre. La première partie de la décennie 90 s'est caractérisée par une période de croissance sans précédent des télécommunications dans les régions en développement, avec un taux de croissance des lignes téléphoniques qui a plus que doublé par rapport à la dernière moitié de la décennie précédente. Néanmoins, l'Afrique n'a pas, pour l'essentiel, participé à cet essor; les taux de croissance pendant les années 90 ne se sont pas améliorés par rapport à la dernière moitié de la décennie 80. De ce fait, l'Afrique se trouve à la traîne par rapport aux autres régions en développement. Il y a quinze ans, il aurait été plus facile de trouver un téléphone à Accra qu'à New Delhi. Cette avance s'est évanouie lentement et a disparu depuis la décennie 90. Si l'Afrique veut rattraper son retard, il faut qu'elle commence par aligner ses taux de croissance sur ceux d'autres régions en développement, c'est-à-dire des taux qui sont de deux à trois fois supérieurs au taux actuel. De plus, ce retard ne se limite pas au réseau fixe: on compte, par exemple, plus de téléphones mobiles en Thaïlande que sur le continent africain tout entier. Dans le domaine de la pénétration d'Internet, l'Afrique se porte mieux mais cela est dû uniquement au taux d'utilisation élevé d'Internet en Afrique du Sud. À l'intérieur de l'Afrique, il existe des différences frappantes dans le développement des télécommunications. Au cours de la dernière décennie, le nombre de lignes téléphoniques pour 100 habitants (ce que nous désignons par le terme de télédensité) a doublé en Afrique du Nord. En Afrique du Sud, la télédensité a augmenté de plus de deux points de pourcentage et approche le chiffre de 10, encore que la répartition des téléphones dans le pays doive être améliorée d'urgence. En Afrique subsaharienne, la télédensité a stagné. Par conséquent, elle se situe à la traîne par rapport au reste du continent. Ainsi, même en Afrique, la disparité entre les pays nantis de l'information et ceux qui en sont démunis s'accroît. En Afrique subsaharienne, l'offre des services de télécommunication ne suit pas la demande. À la fin de 1993, le nombre de personnes qui avaient demandé une ligne téléphonique et qui avaient les moyens financiers de la payer, s'établissait à 700 000. La demande qui a chuté en 1994 du fait de la baisse des revenus dans la région, imputable, pour certains pays, à la dévaluation du franc CFA, se situe encore bien au-dessus du taux d'installation des nouvelles lignes. Les délais d'attente moyens qui sont actuellement supérieurs à 5 ans, sont inacceptables pour une société qui souhaite promouvoir le développement commercial et social. Par ailleurs, et cela est significatif, le temps de disponibilité des réseaux téléphoniques de la région est considérable, ceux-ci n'étant exploités qu'à raison de 75% de leur capacité. Une meilleure utilisation de l'infrastructure installée existante permettrait de réduire sensiblement les listes d'attente. Un des principaux obstacles au développement des télécommunications en Afrique est l'absence de moyens financiers. Si l'on part d'un coût d'investissement de 1 500 dollars EU par ligne, il faudrait disposer d'environ 7 milliards de dollars EU d'ici à la fin du siècle pour que la région compte en moyenne une ligne téléphonique pour 100 habitants en Afrique subsaharienne. Dans ce scénario, on estime que l'autofinancement permettra de dégager près de 4 milliards de dollars EU, de sorte que l'insuffisance de l'investissement se situera aux alentours de 4 milliards de dollars EU. Toutefois, les coûts unitaires par ligne sont plus élevés en Afrique que dans le reste du monde. L'investissement moyen par ligne pour l'Afrique subsaharienne pendant la période 1990-1994 s'établissait à environ 5 500 dollars EU par ligne, soit trois fois plus que la moyenne mondiale. Si aucune amélioration n'est apportée au rendement de l'investissement dans la région, les investissements nécessaires pour obtenir une télédensité d'une ligne pour 100 habitants d'ici à l'an 2000 s'élèveraient à 27 milliards de dollars EU, d'où un écart à combler de 23 milliards de dollars EU, comme l'indique cette diapositive. Il faut donc déployer des efforts pour rendre l'investissement plus productif, notamment dans le cadre de procédures d'appel d'offres transparentes et compétitives pour l'achat d'équipements. Même si la croissance du réseau téléphonique a sans doute pris du retard entre 1990 et 1995, on note des progrès encourageants dans d'autres domaines. Ainsi, plusieurs pays ont libéralisé leur marché des publiphones. De plus en plus de pays de la région se relient à Internet. Le marché de la télévision multiprogrammes est en plein essor. La plupart des pays ont mis en place des réseaux de téléphonie mobile cellulaire. Enfin, presque tous ont entrepris de réformer leur secteur des télécommunications. De tous ces éléments nouveaux, celui qui peut le plus intéresser le public que j'ai en face de moi aujourd'hui est probablement l'expansion d'Internet qui, aux yeux de nombreux observateurs, représente l'avenir des échanges électroniques. L'Afrique se relie peu à peu au réseau Internet. Les premiers pays d'Afrique subsaharienne s'y sont connectés en 1994 et en décembre 1995, 16 pays africains étaient directement reliés à Internet. En Afrique du Sud, on comptait au début de 1996 presque 50 000 ordinateurs centraux reliés à Internet, soit la concentration la plus élevée dans le monde (pays Membres de l'OCDE exclus), ce chiffre étant plus de 50 fois supérieur à celui du pays africain arrivant en deuxième position. Bon nombre des initiatives de mise en réseau actuelles sont prises au niveau local, avec l'appui de la communauté internationale, et sont destinées aux milieux universitaires et scientifiques, encore que le secteur privé soit de plus en plus actif dans ce domaine. L'UIT joue également un rôle dans l'expansion du réseau Internet en Afrique. Au début de cette année, nous avons annoncé l'existence d'un projet spécial appelé Africa 2000 auquel nous avons alloué quelque 13,5 millions de francs suisses provenant des recettes de l'exposition TELECOM 95 que j'ai déjà mentionnée. Ces fonds devraient produire un effet de levier qui permettra la mobilisation de capitaux beaucoup plus importants. L'un des quatre programmes a pour objet la mise en oeuvre des nouvelles technologies, notamment par le biais d'une série de projets pilotes. L'expansion d'Internet est également financée par d'autres programmes, dont ceux de la Banque mondiale (InfoDev) et d'USAid. Bien qu'elles aient mis du temps à "décoller", les communications mobiles sont aujourd'hui plus largement acceptées en Afrique. À la fin de 1995, 23 pays africains environ exploitaient des systèmes cellulaires. Les radiocommunications cellulaires constituent l'un des rares segments du marché des télécommunications africaines qui ont été ouverts aux investissements privés et à la concurrence. Parmi les 26 réseaux en service, onze font l'objet de coentreprises avec des investisseurs étrangers tandis que trois pays autorisent actuellement une concurrence dans le secteur. Un certain nombre d'éléments nouveaux pourraient transformer le paysage des radiocommunications cellulaires en Afrique: 1) L'extension de la zone GSM. La croissance spectaculaire des systèmes GSM en Afrique du Sud, qui développe des échanges commerciaux et multiplie ses liaisons de communication dans la partie sud du continent, laisse prévoir la possibilité d'un élargissement de la zone GSM qui pourrait fournir des services de mobilité à une douzaine de pays. 2) Le recours croissant aux satellites pour raccorder des cellules isolées et pour assurer une couverture nationale et internationale. 3) Les systèmes cellulaires fixes ou techniques de lignes d'abonnés hertziennes (WLL) qui utilisent les radiocommunications cellulaires en mode stationnaire comme une ligne fixe. Au Ghana, Capital Telecom installe actuellement des systèmes WLL, dans le cadre d'un projet de construction-exploitation-transfert (CET) qui devrait desservir jusqu'à 50 000 abonnés dans des zones rurales d'ici à 1998. Il est également à noter que le Mali vient par l'intermédiaire de son opérateur SOTELMA, de mettre en service le 20 septembre dernier un système cellulaire ayant une capacité initiale de 2 000 abonnés pouvant être étendue à 20 000 abonnés. Le développement des télécommunications est étroitement lié au développement économique. La lenteur du développement des télécommunications en Afrique s'explique en partie par le ralentissement de l'activité économique de la région et par la baisse du revenu par habitant. L'Afrique a enregistré entre 1990 et 1995 des résultats économiques nettement inférieurs à ceux d'autres régions en développement. Un signe encourageant est toutefois que, d'après les prévisions économiques mondiales, l'économie africaine devrait se redresser et connaître en 1996 une croissance supérieure à celle de toutes les autres régions en développement, Asie mise à part. À condition que cette croissance se maintienne, la demande de services de télécommunication ainsi que la capacité de les financer, devraient progresser dans la région. Peut-être les quatre prochaines années seront-elles, par comparaison avec la situation des années précédentes, un "âge d'or" pour le secteur des télécommunications en Afrique. Pour que ces signes prometteurs de reprise dans le contexte macroéconomique se traduisent par une expansion du secteur des télécommunications, certaines conditions préalables doivent être remplies. Un certain nombre de facteurs communs sont à l'origine des bons résultats qui ont été obtenus dans le domaine des télécommunications dans d'autres régions du monde, à savoir: 1) Stimulation de la demande intérieure par la hausse des revenus. S'il est vrai que les niveaux moyens de revenus ont à peine augmenté en Afrique, il n'en reste pas moins que la demande est suffisamment importante pour justifier la construction de réseaux bien plus vastes que ceux qui existent actuellement. 2) Affirmation d'une volonté politique de procéder à des investissements dans les infrastructures et d'entreprendre une réforme sectorielle. Jusqu'à une date récente, cette volonté était pour ainsi dire inexistante sur le continent, mais certains signes donnent à penser que la situation est en train d'évoluer. Quelques pays ont engagé une restructuration du secteur et la liste ne fait qu'augmenter. 3) Existence d'un véritable esprit d'entreprise au niveau local. En Asie et en Amérique latine, le regain de dynamisme que connaît le secteur des télécommunications est dû en grande partie aux entreprises locales qui ont créé des groupements afin de réunir des capitaux nationaux et étrangers. Le premier des trois "mécanismes de déclenchement" évoqués plus haut est déjà présent dans la région, le deuxième peut être mis en place sous l'effet de pressions extérieures et grâce à la création de modèles au niveau local, mais le troisième doit émaner de l'Afrique elle-même. En conclusion, pour l'avenir des télécommunications en Afrique, ce n'est pas tant vers l'UIT, vers la Banque mondiale ou vers AT&T que les regards doivent se tourner mais vers l'Afrique et les Africains. ___________