UNION INTERNATIONALE DES TÉLÉCOMMUNICATIONS L'UIT et Genève: Révolution technologique et libéralisation des marchés Pekka Tarjanne, Secrétaire général Union internationale des télécommunications 18 juin 1997 Séminaire institutionnel de Darier Hentsch & Cie Genève (Suisse) Mesdames, Messieurs, Je suis très heureux de participer à ce séminaire et de partager avec vous quelques réflexions sur le rôle de Genève dans la société mondiale de l'information. La session annuelle du Conseil de l'UIT s'est ouverte aujourd'hui. Je ne passerai donc que peu de temps parmi vous. Il me semble néanmoins important de participer à ce débat en tant que représentant non seulement de l'UIT mais aussi des autres organisations internationales basées à Genève. Le programme d'aujourd'hui nous a déjà permis d'écouter des orateurs qui ont abordé les grands problèmes que poseront les communications au prochain millénaire et ont souligné combien il est important pour Genève de suivre le rythme des mutations rapides qui s'opèrent autour de nous. Ces mutations auront un effet non seulement sur la vie commerciale, sociale et économique de Genève mais aussi sur les relations entre pays, qui sont déterminantes pour la communauté internationale. Je tiens à saisir cette occasion pour évoquer brièvement la révolution technologique que connaît le secteur des télécommunications, au sein de l'économie globale de l'information, et pour vous présenter quelques exemples qui font ressortir les perspectives offertes par le commerce électronique mondial et le lien entre la libéralisation des marchés et les questions dont nous débattons ici aujourd'hui. Je commencerai par la révolution technologique: depuis sa création en 1865, quand elle était chargée de gérer l'interconnexion du trafic télégraphique, l'UIT a été le témoin de profondes mutations dans le domaine des télécommunications. L'humanité s'apprête aujourd'hui à vivre une nouvelle période d'évolution rapide, aussi fondamentale que l'ont été le développement et la généralisation du téléphone. Nous avons tous entendu parler des techniques, applications, produits et services nouveaux qui permettent de faire toutes sortes d'opérations par des moyens électroniques, à l'aide d'ordinateurs, de réseaux de télécommunication et d'Internet. En fait, la manière dont les gens définissent et utilisent les communications est le signe d'une convergence croissante des télécommunications, de la radiodiffusion et de l'informatique. Le système de télécommunication d'aujourd'hui est devenu une toile complexe de réseaux de plus en plus intelligents constitués de câbles à fibres optiques, de fils de cuivre classique, de systèmes à satellites, de systèmes hertziens et de réseaux de communication informatiques à grande vitesse. Le réseau Internet est le précurseur d'une transformation radicale des modes de communication. Les réseaux modernes sont capables de transmettre des sons, des textes, des données et des images fixes ou mobiles partout dans le monde. Cette révolution technologique nous conduit à une ère entièrement nouvelle, souvent décrite comme "l'économie mondiale de l'information" ou, de manière plus générale, comme la "société mondiale de l'information", dans laquelle la conception des communications et de l'information est très différente de ce qu'elle était dans le passé. Mais la société de l'information n'est pas du tout un fait accompli, c'est encore une aspiration. Bien que nombre des technologies habilitantes, comme Internet ou les réseaux à large bande et grande vitesse, se développent rapidement, il n'existe pas une technologie unique susceptible d'assurer la totalité des fonctions nécessaires. Tout dépend des modalités d'utilisation de la technologie et des choix que nous ferons. L'avenir n'est pas aussi simple et limpide qu'on le décrit souvent. Personne ne sait à quoi ressemblera finalement la Société de l'information. De nombreux protagonistes sont en cause, qu'il s'agisse des acteurs traditionnels comme les opérateurs de télécommunication, les responsables de la réglementation et les fournisseurs de services, ou encore des fournisseurs de contenu et des fournisseurs de services Internet, quant aux usagers, ils sont très différents, des grandes sociétés internationales aux petites et moyennes entreprises, en passant par les consommateurs du secteur résidentiel. Grâce à la nouvelle technologie, il est déjà devenu possible de faire des choses de manière très différente et à l'échelle mondiale. Prenons l'exemple du commerce électronique, qui pourrait bien transformer profondément la façon dont nous achetons et vendons des produits et des services. De fait, le commerce électronique devrait devenir l'un des plus grands succès de la technologie des télécommunications et de l'information. Nous connaissons tous la popularité de l'Internet et d'autres services en ligne assurés par le World Wide Web. Le réseau Internet est un cadre idéal pour le commerce électronique, pour l'échange de biens, de services et d'argent. Il relie déjà quelque 60 millions d'habitants de la planète, indépendamment de l'endroit où ils vivent et des fuseaux horaires. Le réseau Internet est également très intéressant car il gomme les frontières géographiques et commerciales. Il permet en effet à des habitants de Genève de consulter un quotidien indien, de faire des réservations dans une station balnéaire thaïlandaise, de vendre ou d'acheter des actions dans différentes places boursières du monde et même de commander du vin français auprès d'un détaillant spécialisé. Avec l'apparition du commerce électronique, les consommateurs possèdent une plus grande liberté de choix ainsi que davantage d'informations sur les produits et services disponibles. Des modèles commerciaux multiples vont probablement se faire jour. L'aptitude à suivre et à analyser avec précision le comportement des consommateurs fera des communautés électroniques une véritable aubaine pour les spécialistes des études de marché. Mais le commerce électronique mondial en est encore à ses débuts. Tout comme le cinéma n'a pas remplacé le théâtre et comme la révolution industrielle n'a pas supplanté la révolution agricole, le commerce électronique d'aujourd'hui ne devrait pas remplacer le commerce traditionnel. Toutefois, il ne fait aucun doute que l'utilisation croissante des réseaux intelligents annonce un grand changement de la manière de faire des affaires et en particulier de la manière dont les entreprises travaillent les unes avec les autres. Prenons un autre exemple des changements de méthodes de travail induits par l'informatique et les communications, changements qui se produisent même à l'UIT! Si vous consultez la page d'accueil de l'UIT sur le World Wide Web, vous pourrez lire mes discours (y compris celui-ci) ou tout savoir sur le 17 mai, Journée mondiale des télécommunications, dont le thème était cette année "Télécommunications et aide humanitaire". Vous pourrez aussi commander, via le Web, des publications de l'UIT. En fait, plus d'un tiers de nos publications sont télédéchargées directement du Web et la plupart des autres sont commandées par le Web. Malheureusement, nous n'avons pas eu assez d'audace pour faire payer la lecture de mes discours! Un autre événement récent mérite d'être mentionné, l'importante conférence de trois jours sur la restructuration du système de noms de domaines d'Internet, qui s'est tenue du 29 avril au 1er mai au Centre international de conférences de Genève. Elle a abouti à la signature d'un Mémorandum d'accord qui, en créant une nouvelle série de domaines de tête génériques, devrait contribuer à la préservation et au renforcement de l'Internet. L'UIT est appelée à jouer un rôle de premier plan en tant que dépositaire du Mémorandum d'accord, signe que des liens étroits unissent la communauté des télécommunications et l'Internet. Ces liens se verront certainement encore renforcés cette année, en septembre, avec l'organisation par l'UIT d'une nouvelle manifestation, à Palexpo (Genève), Telecom Interactive. Telecom Interactive sera axé sur l'Internet et sur les techniques et applications des multimédias, et suivra l'exemple de TELECOM, aussi organisé par l'UIT, qui constitue aujourd'hui la plus grande exposition et le plus grand forum mondiaux des télécommunications. En ce qui concerne la communauté genevoise, je voudrais aussi parler du projet Geneva MAN (Réseau local métropolitain), dans lequel l'UIT a joué un rôle clef. Ce nouveau réseau jettera sans conteste les fondations d'un environnement de travail câblé, numérique et multimédia pour les organisations internationales de Genève et ouvrira de nouvelles perspectives de développement économique à tous les secteurs de la région. Je suis d'ailleurs heureux de constater que les autorités genevoises et d'autres institutions de la ville semblent disposées à reconnaître le besoin stratégique d'établir un cadre de communications ouvert, qui fasse de Genève un carrefour de la société de l'information. Le fait que vous soyez tous réunis ici aujourd'hui, pour étudier les problèmes que soulève la société de l'information et en débattre, montre à l'évidence que Genève se prépare à relever les défis du XXIe siècle. L'autoroute genevoise de l'information devrait être abordable, compétitive et devrait pouvoir répondre aux besoins des usagers professionnels comme des particuliers. A cet égard, l'UIT réalise actuellement un projet pilote, dans le contexte de son nouveau Centre des technologies de réseau, le but étant de démontrer qu'il est possible de fournir un accès Internet à très grande vitesse sur les fils téléphoniques existants. Bien que l'idée d'une société de l'information qui serait un marché électronique mondial des biens, services et devises soit très séduisante, il est d'autres aspects manifestement plus problématiques. Problèmes de nature essentiellement technique, par exemple en matière de sécurité et de fiabilité mondiale des réseaux. Avec les nouveaux réseaux mondiaux, on passe actuellement de la "télé-phonie" à la "télé-informatique". Cela soulève des questions essentielles, liées à la restructuration du secteur des télécommunications, à la fixation du prix des services et à la réglementation du commerce international ainsi qu'à l'effet de ces changements sur la souveraineté nationale, les institutions politiques et les modes de vie. Aujourd'hui, toutes ces questions intéressent au plus haut point tous les pays. Les mécanismes d'échange dans le monde sont en période de transition, parce que de nouvelles "routes commerciales électroniques" sont en voie d'établissement sur les réseaux informatiques mondiaux. Les voies d'échange de demain seront construites avec des systèmes de communication perfectionnés, grâce auxquels la transmission des données, des informations, des idées et des loisirs pourra se faire quasi instantanément dans le monde entier. En réalité, le monde ne voit plus les télécommunications seulement comme un service public fourni par des administrations nationales, par des PTT, et géré au plan international sur la base d'accords entre gouvernements. Sur la voie qui mène à la société mondiale de l'information, les télécommunications deviennent de plus en plus un service commercial qui peut être fourni sur une base compétitive par des prestataires nationaux ou internationaux, publics comme privés. Dans cette optique, l'UIT collabore étroitement avec l'OMC et l'OMPI afin d'étudier à fond les répercussions des accords de libre-échange et la protection de la propriété intellectuelle dans le contexte des télécommunications nationales et internationales. Quel pourrait être le rôle de Genève dans ce contexte? Genève est une ville internationale qui peut tirer profit de ce qu'elle abrite de nombreuses organisations internationales ou régionales ainsi que des multinationales et des sociétés financières de dimension internationale, pour devenir une ville-phare pour les télécommunications et l'ère de l'information. Ensemble, nous devons essayer de faire en sorte que les projets de cette ville deviennent un modèle novateur et un banc d'essai susceptibles de guider la communauté internationale dans les efforts qu'elle déploiera pour harmoniser et coordonner le développement de la société de l'information au niveau international. Pour sa part, l'UIT, en sa qualité d'organisme intergouvernemental dont les membres ont la particularité de représenter le secteur public comme le secteur privé, continuera à faire venir à Genève les ingénieurs, les décideurs et les experts qui posent les premiers jalons de cet ère des communications mondiales. Je suis convaincu que, grâce à ce séminaire, vous contribuerez à créer l'état d'esprit nécessaire à la détermination des besoins, des services et des applications ainsi que du cadre dans lequel ceux-ci pourront être assurés, à l'approche du troisième millénaire. Je suis sûr qu'ensemble nous pourrons assumer de nouvelles responsabilités et oeuvrer non seulement à l'amélioration de notre ville, mais aussi à contribuer à un monde meilleur, un monde qui puisse accueillir les générations futures. Je vous remercie. _________________ ____________________ - 4 -