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Les enjeux de la réforme du système des taxes de répartition

Les conséquences du nouvel Accord de l'OMC sur le commerce des services de télécommunications de base, entré en vigueur cette année, sont examinées dans deux articles. Dans le second, nous verrons en quoi les retouches apportées au système des taxes de répartition pourraient influer sur les exploitants, notamment dans les pays en développement, et comment le Forum mondial des politiques de télécommunication de l'UIT, qui a pour thème le commerce des télécommunications, pourrait aborder ces questions.

Le 16 mars, des leaders du monde des télécommunications se réuniront à Genève pour procéder, entre autres, à une refonte du système de partage des coûts des communications internationales entre opérateurs internationaux. Il s'agira d'une véritable gageure, car le système en place - plus connu sous le nom de "système international des taxes de répartition" - existe depuis presque aussi longtemps que l'industrie des télécommunications elle-même. Bien qu'il ait été très utile, cet ancien système de facturation réciproque commence à devenir obsolète du fait de la restructuration que les nouveaux enjeux techniques et commerciaux imposent à l'industrie. Il faut donc remplacer le système mais, et c'est sur cette question épineuse que devront se pencher les délégués au Forum de cette années, "par quoi"?.

Bref rappel des faits

Lorsque les télécommunications ont vu le jour (avec le télégraphe), l'exploitation des systèmes se faisait à très petite échelle, entre bâtiments d'une même agglomération ou entre agglomérations voisines. Grâce aux progrès techniques, il est rapidement devenu possible d'envoyer et de recevoir des messages sur des distances de plus en plus grandes et, finalement, de transmettre des messages télégraphiques par delà les frontières internationales. Avec les premiers systèmes télégraphiques internationaux, les opérateurs devaient accepter des messages à la frontière du pays d'origine, puis les envoyer à des opérateurs situés de l'autre côté de la frontière, lesquels devaient à leur tour les retransmettre à leur destination. Ce système lent et contraignant était une nécessité, car les lignes télégraphiques des différents pays, outre qu'elles n'étaient pas interconnectées, étaient souvent techniquement incompatibles les unes avec les autres.

En définitive, le système gênait tellement la transmission rapide des messages télégraphiques que 20 pays se sont réunis pour fonder l'Union télégraphique internationale, prédécesseur de l'Union internationale des télécommunications. L'Union a entrepris de normaliser les équipements et de garantir l'interconnexion de systèmes nationaux différents, tout en mettant au point un système de "paiements de compensation" entre opérateurs de télécommunication pour l'acheminement du trafic international généré par un abonné demandeur d'un pays tiers. Etant donné qu'il faisait l'objet de négociations bilatérales entre les opérateurs, le montant de ces paiements n'était pas le même d'un pays à l'autre. Il arrivait par exemple que le pays A facture 1 dollar au pays B pour faire aboutir le trafic international de ce dernier, mais qu'il offre le même service au pays C pour 80 cents. Ce système, fondé sur un ensemble d'accords entre pays, était en général jugé équitable par toutes les parties en présence et a constitué, moyennant quelques retouches, la pierre angulaire de la fourniture de services internationaux de télécommunication pendant plus d'un siècle.

Le souffle du changement

Le système des taxes de répartition a commencé à se lézarder dans les années 80, parallèlement aux changements imperceptibles, mais lourds de conséquences, qui s'opéraient dans le secteur des télécommunications. La libéralisation de certains marchés de télécommunication, notamment celui des Etats-Unis, premier fournisseur mondial de trafic international de télécommunication, conjuguée à la privatisation d'exploitants publics de télécommunication et à l'essor de techniques de télécommunication telles que les réseaux informatiques, les systèmes de courrier électronique et l'Internet, ont commencé à façonner un nouvel environnement d'exploitation radicalement différent de l'ancien système monopolistique. Sur certains marchés, la concurrence a fait baisser le prix des communications, favorisant du même coup l'évolution de diverses "procédures d'appel alternatives", telles que la revente, les services de rappel et le service pays direct. Tous ces services consistent à faire transiter le trafic du pays A destiné au pays B par un pays tiers, le pays C, qui applique des taxes de répartition plus basses. Grâce à ces tarifs moins élevés, les opérateurs réalisent plus de bénéfices et peuvent ainsi offrir à leurs clients des services spécialisés à prix réduits. Les procédures d'appel alternatives ont bouleversé les schémas traditionnels d'acheminement des appels internationaux.

Les déséquilibres des flux de trafic international résultant de ces méthodes d'exploitation nouvelles, entre autres, font que les opérateurs des "pays exportateurs de télécommunications", à savoir ceux qui acheminent plus de communications internationales qu'ils n'en reçoivent, versent des sommes considérables à d'autres pays pour faire aboutir leurs appels. Or, étant donné que les taxes de terminaison ont de tous temps été largement supérieures aux coûts réels encourus par l'opérateur du pays de destination, certains opérateurs se sont estimés lésés par le système.

D'aucuns réfutent cet argument en faisant valoir que ce sont les opérateurs eux-mêmes qui encouragent les procédures d'appel alternatives ayant pour effet d'inverser le flux de trafic et d'exiger le versement de paiements compensatoires pour les appels qui auraient auparavant généré des recettes au titre du trafic entrant, de sorte qu'ils doivent nécessairement en tirer profit, même s'ils s'en défendent en protestant avec véhémence contre la charge excessive que leur imposent les règlements internationaux.

Le Nord contre Sud?

La communauté internationale des télécommunications reconnaît que l'évolution des modalités d'utilisation, d'achat et de vente des télécommunications exige la mise au point d'un nouveau système en lieu et place de l'ancien système des taxes de répartition. L'UIT y travaille depuis plusieurs années, par l'entremise de la Commission d'études 3 du Secteur de la normalisation des télécommunications (UIT-T). A l'heure actuelle, la mise au point de nouvelles modalités bute essentiellement sur la divergence apparente d'intérêts entre pays industrialisés d'une part, dont les exploitants exercent leurs activités dans des conditions de concurrence et acheminent un volume important de communications internationales, et pays en développement d'autre part, qui fournissent encore leurs services de télécommunications en régime de monopole et génèrent de faibles volumes de communications internationales.

Si les coûts et les taxes de répartition restent élevés dans les pays en développement, ce n'est pas parce que les opérateurs sont des entreprises publiques ou monopolistiques. Nombreux sont les exploitants en situation de monopole qui pratiquent des taxes de répartition inférieures à leurs homologues opérant sur des marchés concurrentiels, comme en témoignent en particulier les cas de Singapour et de Hong Kong.

Le problème tient plutôt à un ensemble complexe de conditions propres à la plupart des pays en développement. Premièrement, ces pays doivent presque toujours payer plus cher pour leurs équipements de réseaux et installations de lignes, pour des raisons aussi diverses que des conditions géographiques et climatiques difficiles, l'absence de production locale et l'incapacité de tirer parti des économies d'échelle.

Deuxièmement, l'augmentation du volume de communications qui pourrait résulter de la baisse des prix ne suffirait généralement pas à compenser le manque à gagner que ces pays subiraient par suite des réductions des quotes-parts de répartition entre exploitants. Dans la plupart d'entre eux, une grande partie de la population n'est pas encore familiarisée avec les télécommunications et n'a ni le besoin, ni les moyens de générer beaucoup de trafic international supplémentaire, même si les tarifs sont nettement inférieurs.

Troisièmement, les pays en développement sont souvent fortement tributaires des devises fortes qu'ils reçoivent sous la forme de paiements de compensation pour financer la maintenance et le développement de leur propre réseau, le volume d'appels nationaux et les recettes correspondantes ne suffisant tout simplement pas à couvrir ces dépenses; d'ailleurs, les recettes ainsi obtenues ne sont pas en devises convertibles.

Pour bon nombre de pays en développement, la suppression du système actuel des taxes de répartition serait donc une véritable catastrophe, compte tenu de l'insuffisance des installations de communication dont ils disposent aujourd'hui, et réduirait encore un peu plus leurs chances de participer à la nouvelle infrastructure mondiale de l'information. Etant donné que les moyens de télécommunication sont de plus en plus liés à la prospérité économique, les pays en développement, déjà quelque peu circonspects quant aux motivations des grandes entreprises internationales et qui redoutent un scénario dans lequel il n'y aurait que des perdants, n'ont guère été désireux jusqu'à présent de s'asseoir à la table des négociations.

A la recherche d'un consensus

Le Forum mondial des politiques de télécommunication a été organisé pour sortir de cette impasse et arriver à une solution tenant compte de la nécessité d'engager une réforme à bref délai, tout en protégeant les exploitants susceptibles d'être les plus durement touchés par le changement. Il est évident que les pays en développement, puisqu'ils perçoivent des paiements de compensation nets (quelque 10 milliards de dollars EU en 1996) ont tout lieu d'être inquiets. Pour certains d'entre eux, les règlements perçus représentent même près de la moitié des recettes totales tirées des télécommunications et la principale source de devises.

Afin de mieux comprendre les réalités de la gestion des réseaux par les opérateurs des nouveaux marchés, le Forum va examiner neuf études de cas commanditées spécialement par l'UIT. Ces études, faites par des consultants en télécommunication de premier plan, mettent en lumière la situation en vigueur dans chaque pays et proposent des mesures susceptibles de faciliter le passage à un nouveau système de règlements internationaux.

Les participants au Forum examineront également des scénarios selon lesquels le passage à des taxes de répartition fondées sur les coûts pourrait aboutir à des taxes de terminaison asymétriques. Ces différentes taxes de terminaison s'appliqueraient aux pays qui pourraient justifier de coûts de terminaison plus élevés, dus par exemple à l'incapacité de réaliser des économies d'échelle dans leurs achats d'équipements, à des coûts de maintenance et de développement plus élevés ou à d'autres facteurs tels qu'un fort taux d'endettement. Une autre option sera envisagée pendant le Forum: prévoir une période de transition plus longue pour les pays en développement.

De nouvelles manières de voir

En dépit de toutes ces difficultés, l'avenir semble prometteur pour bon nombre d'exploitants des pays en développement, notamment pour ceux qui sont prêts à faire preuve d'innovation et de souplesse. Il ressort de travaux de recherche menés par l'UIT que les nouveaux pays ayant commencé à ouvrir leur industrie nationale à la concurrence connaissent à présent des taux de croissance de leur trafic international par ligne d'abonné beaucoup plus élevés que ceux qui en sont restés à un système d'exploitation purement monopolistique. Loin de remettre en question les programmes de mise en place de réseaux, la libéralisation et la participation du secteur privé aux réseaux de télécommunication de ces pays se sont en fait traduites, d'après les chiffres, par une accélération de ces programmes et par une amélioration de la qualité du service.

D'une manière générale, les Etats semblent reconnaître qu'une libéralisation planifiée leur permet d'atteindre leurs objectifs en matière de développement plus rapidement que s'ils avaient maintenu un monopole. La participation du secteur privé a certes pour effet de priver l'opérateur en titre de certaines des recettes tirées des télécommunications au profit des nouveaux opérateurs, mais elle se traduit aussi par un apport de capitaux, de techniques et de compétences de l'étranger et contribue au développement d'autres secteurs économiques fortement tributaires des télécommunications - voyages et tourisme, informatique, transports, secteur bancaire et services financiers par exemple.

De nouvelles règles du jeu

A mesure que l'évolution des marchés mondiaux de télécommunication se poursuivra, les structures de ces marchés devront elles aussi être à même de s'adapter à la nouvelle donne et aux nouvelles règles en matière d'exploitation. L'une de ces structures, le système international des taxes de répartition, devra donc évoluer rapidement pour rester en phase avec la fourniture de services de télécommunication au cours du prochain millénaire.

De leur côté, les pays en développement considèrent que leur participation à la mise au point d'un système de tarification entre exploitants, nouveau ou modifié, est vitale pour que leurs intérêts soient pleinement pris en compte. Le Forum mondial des politiques de télécommunication de l'UIT offre à l'industrie une chance unique de parvenir à un large consensus sur cette question, puisqu'il réunit des délégués des secteurs public et privé, du Nord comme du Sud, pendant trois jours de discussions ouvertes et informelles. A la fin du Forum, les participants, espérons-le, se seront mis d'accord sur de nouvelles bases pour le commerce des télécommunications, l'objectif étant de favoriser la croissance et la prospérité au profit de tous et de contribuer au développement des réseaux, afin que les peuples du monde entier puissent bénéficier d'une infrastructure de communication véritablement mondiale.