Journée mondiale des télécommunications 1999

IHT 17 mai 1999


Les pièges juridiques du cyberespace

Comment réglementer au mieux les échanges commerciaux dans le cyberespace?


Martin Burack, directeur exécutif de la société Internet, annonce que la prochaine session du congrès mondial de son organisation opposera ''techniciens et juristes''. Les techniciens souhaitent une ''grande ouverture'', tandis que les juristes veulent savoir ''qui va payer les inévitables poursuites''. En effet, à mesure que se développe le commerce électronique, les craintes de poursuites grandissent. L'Internet en général et le commerce électronique en particulier posent des problèmes juridiques colossaux. Des décisions s'imposent sur des questions telles que la normalisation, la confidentialité, la sécurité, la fiscalité et la propriété intellectuelle, la responsabilité, la concurrence, l'authentification, l'attribution des noms de domaine et le contenu. Le choix entre intervention de l'Etat et autorégulation dans ces domaines donne lieu à un débat animé.

L'Union internationale des télécommunications (UIT) dans son rapport ''Quels enjeux pour le réseau? Internet et développement'' publié en 1999 propose quatre démarches possibles. La première, fortement réglementaire, suppose un contrôle législatif. La deuxième consiste en une réglementation indépendante sous la ressponsabilité d'organes créés par l'industrie. La troisième est l'autorégulation et la quatrième, une absence totale de réglementation.

L'UIT invite les gouvernements à résister à la tentation d'une solution unique, passe partout, et de distinguer plutôt ''les aspects de l'Internet qui exigent une réglementation de ceux qui n'en exigent pas''. Cette approche est également celle préconisée par l'Union européenne, sous l'impulsion du commissaire Martin Bangemann.

Prenant la parole à une conférence d'IBM le mois dernier, celui-ci a préconisé une approche législative collégiale, étant donné que, la cohésion face aux nouvelles technologies est encore insuffisante en Europe. A son avis, l'Union européenne doit arrêter les grands principes, les détails pouvant varier légèrement d'un pays à l'autre, comme c'est le cas dans l'accord européen sur les signatures numériques.

Pour M. Bangemann, il est essentiel d'écouter l'industrie avant d'établir des règles et de cibler les systèmes de distribution plutôt que le consommateur.

Quant à l'argument ''contenu local'', présenté dans beaucoup de pays comme un moyen de contrecarrer l'influence de Hollywood sur la production de films ou d'émissions de télévision, certains faiseurs d'opinion craignent qu'il ne justifie le recours à une réglementation permettant de contrôler le contenu d'Internet. ''La Commission européenne n'a jamais été favorable aux quotas audiovisuels'' a insisté M. Bangemann.''Les gens ne perdent pas leur identité culturelle en participant à un système mondial; en revanche, ils doivent se rendre compte qu'une culture qui vit en vase clos est condamnée''. La question de juridiction est si confuse qu'aux Etats-Unis un moratoire de trois ans sur la taxation du commerce électronique a été imposé. Si une entreprise installée à New York, où la taxe sur les ventes est élevée, vend un produit par l'intermédiaire de l'Internet dans le New Hampshire où les ventes sont libres de taxes, quelle juridiction fiscale doit s'appliquer? Ou bien si un vendeur installé en Suède vend sur l'Internet à un acheteur d'Arabie saoudite un produit à connotation sexuelle, duquel des deux pays doit-on appliquer les normes?

L'argument en faveur de la juridiction du pays d'origine va de soi: toute autre approche paraît impraticable sauf peut-être pour de très grandes entreprises qui seules peuvent engager des avocats connaissant bien l'environnement juridique de chaque pays du monde, ce qui serait nécessaire en cas de distribution à l'échelle mondiale.

La juridiction du lieu d'achat est tout aussi séduisante: pourquoi les acheteurs ne pourraient-ils pas être protégés par la législation de défense du consommateur en vigueur là où ils vivent? Sinon, ils pourraient arriver à acheter quelque chose auprès d'entreprises d'apparence respectable mais tirant sciemment parti des législations ''indulgentes'' de certains pays fait observer Ben Petrazzini, analyste à l'UIT. Les entreprises préfèrent, bien entendu, la juridiction du point de vente.

Mais pour Bill Poulos, Directeur de la politique du commerce électronique de Electronic Data Systems, il faut établir une distinction entre le commerce entre entreprises et le commerce entre entreprises et consommateurs. ''Bien qu'aucun des deux principes ne soit vraiment applicable, celui du pays d'origine semble plus raisonnable, tout au moins pour les transactions électroniques entre entreprises'' déclare-t-il.

''Le plus important est d'avoir des mécanismes de règlement des plaintes qui justifient la confiance du con-sommateur et soient faciles à utiliser, ne cožtent pas cher et garantissent la réparation voulue''. Les systèmes de recours à des tiers pour régler les différends que des groupes commerciaux privés créés pour répondre aux problèmes posés par les nouvelles technologies s'apprêtent à mettre au point, sont ''bon marché, souples et viables'', selon M. Poulos, qui ajoute qu'ils ne porteraient pas atteinte aux droits juridiques fondamentaux des consommateurs des pays industrialisés comme des pays en développement.

Claudia Flisi